Permaculture

Terre de Vérolliez : un jardin à la ferme de Nucé (par David Dinsfriend)

Etat au début de l’année 2021 :

État initial du jardin

J’arrive à Vérolliez à la fin du mois de janvier, où je rencontre Alain qui habite le bâtiment longeant l’avenue (voir le plan à la fin de l’article). Là, il fait tourner son association : Pentapi. Il se sert de la grange, en face, pour stocker son matériel d’apiculture. Il entretient ces deux bâtiments depuis des années, avec les moyens du bord. Alain et sa compagne Ariane ont aussi investi le jardin de curé pour y garder des poules et deux canards coureurs indiens, pour y faire pousser quelques fruits et légumes ainsi que pour y tenir une petite pépinière de châtaigniers. L’accès s’y fait par l’ancien orphelinat : ce grand bâtiment ne semble servir que de passage et de dépôt. Il est inhabité ; la plupart des salles sont vides exceptée la pièce qui débouche sur le jardin ; les fenêtres sont condamnées.

Au sommet de la cour se dresse un grand portail dont les battants n’existent plus mais dont le mur est encore imposant, malgré son état de décrépitude. En le traversant, on a à gauche le bout de l’ancien orphelinat et, plus haut, l’ancienne porcherie (à gauche sur la photo ci-dessus, à partir des bidons bleus). Ses boitons sont pleins de choses pourries, inutiles, accumulées au fil des ans par un ancien habitant souffrant du syndrome de Diogène. Ce dernier, décédé quelques années auparavant, occupait aussi une sorte de caveau au bout du grand bâtiment où il faisait macérer des fruits pour en faire une goutte immonde, dans les toiles d’araignées, au milieu de centaines de cadavres de bouteilles, de crottes de souris, et autre merdier en tout genre. Devant la porcherie, un terrain rectangulaire, légèrement pentu, véritable jungle d’épines, dense et inaccessible jusqu’à ce qu’Alain et ses proches le débarrasse des ronces et du vieux poulailler qui s’effondrait dans un coin. Le roncier n’existe plus quand j’arrive.

Ancienne porcherie

En premier, il faut débarrasser les boitons. Alain et ses proches avaient commencé à en sortir des tas de ferraille ; le reste m’a occupé une semaine. Ç’a valu une dizaine d’allers-retours à la déchetterie et au centre de recyclage, avec le VW Transporter rempli à ras-bord. Par ailleurs, je me suis servi de la paille et du foin que j’avais trouvés dans les boitons pour ajouter une petite couverture de sol sur le haut du terrain. J’aurais préféré faire tout ce nettoyage avec un bon masque anti-poussière. Prévoir !

Une fois la porcherie désencombrée, il a fallu se mettre à la réparation des murs qui délimitent cet espace. Tous étaient à un stade de détérioration différent, mais tous avaient des trous à boucher. On a donc fait tourner la bétonnière. Du sable (on s’en était fait livrer 9m3), du ciment, de l’eau, une pelle, des brouettes, des seaux, des truelles, une rallonge et des gants (c’est important, les gants, en maçonnerie). Le mur du fond exposait un large trou qui répandait ses cailloux à ses pieds. Un cerisier poussait de l’autre côté, à moins d’un mètre, et une racine avait éventré la structure. Trier, nettoyer, remonter. (Trier et nettoyer c’est aussi faire des tas. Les déchets de démolition se sont longtemps amoncelés devant le grand
mur du passage de la cour). On y a fait un coffrage à la fin. Le mur du portail a demandé beaucoup plus de temps et a exigé une finition plus soignée.

David au travail pour créer le premier espace

On notait ensuite que le terrain était inégal, surtout entre la porcherie et le portail. Il a fallu niveler (piocher et râteler) avant de recouvrir de BRF (Bois Raméal Fragmenté) les lieux de passage. Le BRF a été très utile contre la boue et les mauvaises herbes. D’ailleurs, celui-ci a été obtenu, entre autre, par le broyage des ronces. On a aussi récupéré deux citernes qui avaient servi à contenir du sirop pour les abeilles et on les a fixées aux arrivées de la gouttière de l’ancienne porcherie pour capter l’eau de pluie, à l’aide de la petite pelleteuse. La gouttière était bouchée, encastrant solidement des morceaux de matière organique en décomposition : des feuilles, des branches, des cerises, des noyaux, etc. Nettoyage.

Ici, on est en train de tamponner les poteaux du nouveau poulailler (Alain dans la photo)

Entre temps, j’ai mis en place un espace de compost dans le coin du mur avec quelques palettes et des vis. Puis, du côté du pâturage, face à la porcherie, on a remplacé la barrière qui rouillait et qui fléchissait. Pour éviter d’endommager les nouveaux poteaux à coups de masse, on s’est servi d’un tamponneur (voir photo ci-dessus). Ce travail est mieux fait à plusieurs et avec des gants. On a dû retirer des frênes qui gênaient l’installation et qui auraient compromis la longévité de la nouvelle clôture. Enfin, il a fallu s’attaquer au nettoyage des murs : déraciner au mieux les ronces, le lierre et autres plantes envahissantes. C’est un travail pénible qui a nécessité l’aide du tractopelle pour venir à bout des plus coriaces.

Puis, j’ai continué la lutte contre le lierre qui avait complètement envahi le mur d’enceinte du jardin de curé (soit un périmètre d’environ 60m2). J’ai coupé chaque pied partant du sol puis j’ai arraché le gros quand le feuillage a commencé à s’étioler, la plupart du temps à califourchon sur le mur et à l’aide d’une scie et d’un sécateur. La photo susmentionnée donne un aperçu de la taille du lierre à certains endroits. Je retiens que les arbres plantés ou laissés trop près des murs les compromettent ; le lierre est vorace, sa poussière finit souvent dans les yeux ; les éléments ruinent les bâtiments négligés. Le travail de nettoyage est pénible mais gratifiant : il se voit et dévoile un lieu plein de potentiel.

Avant ou après, je ne sais plus : création d’une petite plate-forme à droite après l’entrée du grand portail. On y met des grosses pierres en soutènement. On plantera ici des verveines, entre autres. Pour donner quelques couleurs au lieu, on met des fleurs dans une ancienne auge en béton. On sème aussi du gazon dans le poulailler ainsi que devant l’espace des futures buttes en vue d’y mettre les canards. Outre la verdure qu’on espère, on garde toujours l’oeil sur la pousse des mauvaises herbes.

Enfin, une fois ces travaux finis, ç’a été l’heure de se mettre à la création des buttes. On prend des mesures : on arrivera à en caser huit, comme des lignes de niveau sur le terrain légèrement pentu, à peu près 8m de long et 1m20 de large, juste devant l’ancienne porcherie. Piocher, râteler, défaire la terre, la creuser, la relever, la décompacter ; enlever les bouts de verre, les déchets en tout genre qui pourraient y traîner, ainsi que les grosses pierres enterrées sur lesquelles se tordent les dents de la grelinette. J’ai « massé » la terre, j’en ai ôté les petits cailloux et j’ai fait de mon mieux pour être délicat avec les lombrics. Le sol paraissait de très bonne qualité malgré tout. La première butte était destinée à la culture de carottes. Pour celle-là ont est allé jusqu’au bord du Rhône chercher du limon qu’on ajouté à une première couche de sable qui avait été livré au moment de maçonner. Les buttes ont été finies pendant les vacances de février. Ariane a tout de suite commencé la sème. Elle tient un cahier avec le plan de culture dans un boiton reconverti en base de jardinage.

Après, j’ai défait le mur entre le bâtiment de l’ancien orphelinat et le pigeonnier (voir le plan à la fin de l’article). Il a fait un temps dégueulasse. Les pierres ont fini en monticule dans un coin à l’extérieur ; un hôtel pour les petits animaux. Plus tard, Alain et son neveu ont réalisé un coffrage dans les bords de l’ouverture, histoire de rendre leurs angles aux murs qu’on avait amputés.

Aussi, on a dû broyer la biomasse qu’on avait enlevée lors de tous ces nettoyages. Jean-Claude, un ami d’Alain, nous a prêté sa machine. On a pu se refaire un stock de BRF. Cela dit, des troncs attendent encore qu’on leur fasse leur sort, probablement par le feu. Quoi qu’il en soit, je suis touché par l’économie de coups de mains et de services rendus que je voyais dans les échanges entre Alain et ses amis, quid pro quo mais sans vraiment compter, généreusement, entre « prochains » (deux ou trois fois, j’ai accompagné Alain chez son ami Jean-Claude pour l’aider à tailler les arbres de son verger).

Au début du printemps, la fermière qui loue les terrains alentours a cédé un bout de parcelle. Suivant le conseil d’un ami maraîcher, on en a fait un champ de courges. Le paysan d’à côté a gentiment retourné la terre, puis nous avons creusé des trous prêts à recevoir plus d’une centaine de plantons, la plupart ayant poussé dans toutes les pièces de l’appartement d’Ariane. Il fallait qu’ils aient développé au moins quatre feuilles assez robustes avant de pouvoir être mis en pleine terre, sans quoi ils auraient été trop facilement dévorés par les limaces, les oiseaux, et autres mangeurs de tendre verdure. Une fois les plantons en terre, on a généreusement paillé autour des pieds afin de limiter l’évaporation.

Depuis quelques temps déjà, les instances supérieures se plaignaient du poulailler dans le jardin de curé. « Ça fait désordre ». Il faut donc désormais préparer le déménagement. On achète des piquets, des lambourdes et de la peinture. On prend rapidement des mesures, on tamponne les piquets et on pose des dalles en béton (40 dalles d’à peu près 15kg chacune) le long de ce qui sera la volière. Avant d’utiliser les lambourdes, il faut les peindre, sinon elles résisteront mal aux éléments : trois couches d’acrylique histoire des les imperméabiliser. Je perfectionne ma technique à mesure que j’enchaîne les poutrelles de toutes tailles, à l’abri de la pluie dans l’ancien pigeonnier.

Le gros de l’assemblage du poulailler a pris plusieurs semaines à réaliser. Piquets, lambourdes (40×60, 25×50), scies, vis, visseuse, agrafes, agrafeuse, treillis, marteau, et même béton… Très vite, on s’aperçoit qu’on n’avait pas pris en compte le fait que le mur penche, ce qui a faussé nos mesures. Il a fallu racheter des lambourdes plus longues et les peindre. On fait bien attention de ne laisser aucune ouverture au renard ni à la fouine. La structure a été prête juste à temps pour recevoir les nouvelles poules qui arrivaient un jour fixé. Par ailleurs, comme le gazon avait bien fini par pousser, les canards ont rejoint l’espace des buttes, quoique l’accès a dû être limité au moyen de flexinets pour éviter qu’ils ne bouffent les pousses les plus tendres. Saturnin et Gédéon, jadis en manque de compagnie, ont été rejoints par deux femelles tout à fait charmantes.

En ce qui concerne les espaces de culture, au niveau du désherbage : on veut éviter la concurrence. Contre les pucerons : les coccinelles. Contre les limaces : la chasse, les granules « bio » puis enfin les canards. Contre les pyrales : des voiles de protection. Contre le mildiou des tomates : elles poussent sous un abri diaphane, aucun problème, malgré l’été extrêmement pluvieux. La tonte et le débroussaillement : quand il faut « faire propre », généralement avant que la hauteur de l’herbe ne rende la tâche trop pénible. Ça nous permet aussi de récolter de la matière azotée pour faire chauffer et activer la métabolisation des composts autrement assez secs.

Quoi qu’il en soit, les cultures ont bien donné cette année : des kilos de haricots en tous genres, des laitues, des choux, des fenouils, des carottes, des poireaux, des fraises, des framboises, du raisinet, des tomates, des oignons, des aubergines, du céleri, du kale, du brocoli, une bourrache dont le pied est monumental, des quintaux de courges, deux ou trois châtaignes, et j’en passe. Après des mois passés à nettoyer, réparer, démonter, reconstruire, planter, récolter, avec soin, avec patience, avec amour, on finit par voir qu’une résurrection a eu lieu ici. J’ai omis quelques petites tâches dans ces paragraphes, mais l’essentiel y est.

Avant le point final, je tiens à remercier Antoine d’avoir créé cette opportunité ; et Alain de m’avoir accompagné et fait confiance. Vous êtes des hommes généreux. Bénédictions. Et puisse la terre de Vérolliez fleurir et fructifier encore longtemps.

Le poulailler réalisé au fond à gauche

PLAN DES LIEUX

Légende :

  1. A  Bâtiment Pentapi
  2. B  Grange
  3. C  Ancien orphelinat
  4. D  Ancienne porcherie
  5. E  Jardin de curé
  6. F  Espace de culture
  7. G  Terrain libéré

H Espace de compostage
I Ancien pigeonnier
J Cour
K Pâturages
L Terrasse
M Hangars

Corrections : Il n’y a plus de mur au niveau des points rouges. Il n’y a pas de bâtiments dans le pâturage en haut à droite du plan. Il y a une ouverture dans le grand mur au sommet de J. Il y a une clôture entre H et B.